A deux reprises Marouane Abassi, Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie n’a pas hésité à tirer, à l’enceinte même de l’Assemblée des Représentants du Peuple, la sonnette d’alarme sur la gravité de la situation que traverse le pays. Ses mises en garde contre les divisions politiques, l’absence d’une vision claire, d’un consensus national sur les choix qui devraient être mis en œuvre dans l’immédiat et sur les réformes à entreprendre sans tarder, n’ont pas produit l’effet escompté. A deux reprises, sa voix est restée presque inaudible, les élus comme les acteurs politiques et sociaux n’ont pas saisi la gravité des défis qui se profilent et encore moins le choc que pourrait subir le pays par l’attentisme, l’inaction et la prédominance du discours populiste. En tout cas, il a eu le mérite d’établir un diagnostic sévère de la situation politique, économique, sanitaire et sociale. Si son message de détresse n’a pas retenu l’attention ni des politiques, ni des acteurs sociaux et encore moins des médias, à la recherche du buzz à tout prix, il faut chercher ailleurs l’erreur.
Paradoxalement, au moment où le pays se dirige droit vers le scénario libanais, vers la banqueroute, le débat public reste étrangement focalisé sur les questions superflues, sur ce qui divise et désoriente. Pourtant, le contexte exige, plus que jamais, une prise de conscience salutaire, une union sacrée de toutes les forces vives de la nation, un sursaut pour éviter au pays les choix du pire. Malgré cela on continue à tourner le dos à une réalité complexe par ignorance, par négligence.
Une réalité occultée mais que déclinent des indicateurs dont la majorité ont viré au rouge. Une croissance en berne, qui au premier trimestre de l’année en cours a connu une baisse de l’ordre de 3% en glissement annuel comparativement au trimestre précédent, des moteurs de croissance en panne, (on importe du phosphate plutôt que de le produire), un secteur touristique sinistré par le COVID-19 et une menace latente d’une quatrième vague de la pandémie.
Le tableau de bord de l’économie tunisienne reste biaisé si l’on ne retient pas que jamais le pays depuis son indépendance n’aurait vu les taux d’investissement et d’épargne observer une telle dégringolade. De 20% le taux d’épargne se situe à peine à 6% du PIB, le taux d’investissement a baissé presque de 50%, passant de 26% à presque 12%.
Avec des perspectives hésitantes pour 2021-2022 en raison de la pandémie, l’absence d’une vision, d’un environnement d’affaires attractif, de l’érosion de la confiance et d’une crise politique qui a tendance à s’éterniser, le pays continue à vivre sous perfusion et se trouve contraint à mobiliser au moins 16 milliards de dinars pour boucler le budget 2021. Tout cela sans compter les vulnérabilités qu’il endure de la gestion calamiteuse de ses entreprises publiques, dont les fleurons se trouvent actuellement au bord du gouffre (Tunisair, Compagnie des phosphates de Gafsa) en raison d’une gouvernance calamiteuse et de revendications sociales surréalistes.
Dans un tel cas de figure, la Tunisie a-t-elle réellement le choix de ne pas recourir au FMI pour soulager ses finances publiques mises à mal ? Même si certaines parties continuent à claironner un discours dogmatique, il faut espérer que le programme de réformes présenté par le gouvernement à l’institution de Bretton Woods arrive à recueillir son assentiment.
Pour les experts avertis, la solution FMI se présente comme la seule bouée de sauvetage pour un pays qui risque de couler à tout moment et le seul moyen pour mobiliser des financements, susceptibles de permettre à l’Etat tunisien de continuer à accomplir ses missions essentielles.
Le gouvernement de Hichem Mechichi, timide et parfois dépassé par les événements, se trouve aujourd’hui devant l’obligation impérieuse de sortir de sa coquille, en cherchant à convaincre l’opinion publique et les acteurs politiques et sociaux, en communiquant mieux et en faisant des arbitrages difficiles mais combien inévitable entre le coût des réformes imposées par le FMI et les contraintes sociales notamment.
Hormis la nécessité de voir le gouvernement sortir de sa torpeur en opérant un pilotage intelligent de la situation, il revient au président de la république d’inscrire son action dans ce sens, non de continuer à verser dans des discours impossibles à décrypter.
Il incombe également aux acteurs sociaux de cerner les priorités de l’heure et de mettre un terme à la politique du bras de fer qui a jusque-là desservi les tunisiens et plongé les entreprises publiques, surendettées et souffrant de sureffectifs, dans le chaos, que de leur offrir de nouvelles perspectives.
Manifestement, pour relancer l’investissement, créer de la richesse et des emplois, restaurer la confiance, il n’existe pas de solutions miracles. Notre sauvetage est tributaire du retour au travail, de l’option volontaire pour une trêve politique et sociale.
A défaut d’un dialogue national, il est impérieux qu’acteurs politiques, sociaux et la société civile changent de fusil et d’épaule, en orientant les efforts, tous les efforts en direction de tout ce qui construit une confiance, un espoir et en se concentrant sur l’essentiel au détriment de ce qui est insignifiant.